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L’avarice et l’infobésité – FTTH Magazine

L’avarice et l’infobésité

Par Ata-Ilah Khaouja

Nous téléchargeons et enregistrons, avec la passion de l’avare, des quantités phénoménales de données, écrites, imagées ou audiovisuelles sans jamais avoir le temps de les traiter. Et si nous nous arrêtions, l’instant d’une vie, avant de continuer à emmagasiner encore ; et si nous nous posions et prenions le temps de traiter et profiter d’un bout de tout ce que nous avions retenu et gardé déjà !     

L’avare d’abord version pommes… !

Que perd l’avare quand il perd son trésor ? Voilà une question, qui, loin d’être anodine, serait tout au contraire vitale et existentielle pour celui qui, sans finalité aucune, collectionne, amasse et ramasse. Que de la quantité ! Pour y tenter une réponse, aidons-nous de cette histoire très célèbre, rendue incontournable car elle est souvent racontée et relayée de génération en génération, et ce, depuis 1792. C’est l’histoire de cet avare, qui, dès l’automne et pour passer l’hiver sans trop dépenser de sous, a constitué son stock de pommes ( !), puis les a rangées, en toute sécurité, à l’abri des regards curieux. Il les a enfermées à double tour de sa double serrure et, de temps en temps, une ou deux fois par semaine, les visitait, les comptait, les recomptait et les retournait sans céder à la moindre tentation d’en croquer une ; on dirait le fruit défendu ! Sauf quand il s’apercevait que l’une d’elles venait à pourrir et à se décomposer, alors il la sortait et la mangeait… Devant ce va-et-vient incessant du père, son fils finit par douter du secret et découvre le manège, explore la cachette et constate, étrangement, que son père ne mangeait que les pommes pourries. Il décide de visiter, lui et quelques-uns de ses amis, ce trésor…

Un beau jour, fidèle à son rituel, notre avare vient bichonner et cajoler ses pommettes, et surprend le fils et ses associés en train de se ravitailler. Enragé et furieux, il se met à pleurer les pommes disparues et à menacer les bandits. Et le fils de le rassurer que lui et ses amis n’en ont mangé que les bonnes !

Seule la consommation du bien fait sa véritable possession.

Des pommes ensuite version Téraoctets

Ne moquons pas notre malheureux avare, car il décrit, d’abord, notre quotidien, puisque nous le mimons à la perfection tous les jours et à chaque instant : nous prenons et emmagasinons, à tout va, des centaines de giga-octets de photos dans l’espoir, exactement comme notre individualiste d’avare, de les admirer vers la fin de la semaine, sinon jamais ; nous entassons, sans limite, des kilos de giga-octets de fichiers, de vidéos et autres dossiers afin de les visionner, un jour plus tard ou durant des vacances, absolument tel notre économe ; nous empilons, sans retenue, des téraoctets d’articles, de revues et de livres en vue de les lire au repos, strictement à l’exemple de notre radin, durant ce temps libre qui ne se libère que rarement ou jamais. Car ce temps libre, tant attendu, où nous allons enfin consommer ce que nous avons entassé, ne surviendra jamais puisque nous le passerons, à nouveau, à conquérir d’autres territoires de giga-octets et à envahir d’autres cieux de pixels.

De chasseurs cueilleurs de proies de tout genre, animales et végétales, nous sommes devenus de véritables chasseurs de proies virtuelles écrites et cueilleurs de gibiers numériques sonores ou imagées… sans fournir, quelquefois, le moindre effort.

Ne sous-estimons, toujours pas, notre héros de radin, car, lui au moins, il a payé ses pommes. Alors que nous, nous engrangeons des livres, des photos et des films sans dépenser, souvent, le moindre sou : nous piratons des contenus, nous craquons des logiciels, nous récupérons sur des clés USB, de plus en plus spacieuses, des contenus qui ont nécessité des heures et des jours de travail à leurs auteurs … Nous reprenons ce qui est produit par les autres sans la moindre participation et nous accumulons, sans payer le moindre centime : des fichiers enrichis de fichiers pour former des dossiers ; dossiers grossis de dossiers pour créer des répertoires ; des répertoires ajoutés à des répertoires pour bâtir des bibliothèques que nous ne visiterons jamais, car il nous est impossible de le faire en une seule vie humaine !

Ne méprisons pas, enfin, notre avare alors que nous lui ressemblons mais en pire, car si pour lui, une seconde vie lui est nécessaire pour qu’il jouisse de son bien, nous, en revanche nous avons besoin de bien plus que d’une seule : combien d’années faudrait-il pour lire, comprendre et appliquer tout ce qu’il y a dans un ordinateur personnel de 8 à 10 téraoctets ? Combien de mois seraient nécessaires pour feuilleter tout ce qu’un ou plusieurs smartphones à 128 GO ou plus, ont capté en image ou en sons ? Combien de dizaines de semaines seraient à réserver pour lire le contenu d’une seule clé USB à 256 GO ? Et n’oublions pas ce qui est enfoui dans les disques durs externes, dans les tablettes, et ce qui dort soigneusement dans les différents coffres-forts logés dans des nuages ou des clouds… Nous sommes devenus des avares virtuels ou numériques et les pommes sont devenues des paquets d’octets, qui, eux aussi sont condamnés à périr.

Seul le traitement de l’information fait son authentique maniement.

Des pommes à l’infobésité.

Or ce à quoi nous assistons ne relève aucunement de l’information. En effet, et à la différence de la redondance, c’est la rareté et l’originalité qui caractérisent fondamentalement l’information ; et une bonne information n’a de valeur que si elle est entre les mains de la bonne personne au bon moment prête à subir l’exploitation appropriée et le bon traitement. Sinon, que ferions-nous des dizaines et des milliers de téraoctets, de cette mine de documents qui deviennent rapidement désuets et destinés à l’oubli ? Nous les stockons et nous les tenons au chaud et à l’abri, dans l’espoir de les consulter un jour, lequel ? Nous sommes devenus des avares virtuels et nous bâtissons des étages numériques.

Or, encore, ces montagnes d’informations, stockées sur des supports de plus en plus amples et sophistiqués, et, dont le dépouillement est inconcevable, arrivent rapidement à dépérir. Et ce dépérissement est plus néfaste que les pommes de l’avare dont les dommages gastriques sont contenus et passagers. D’abord sous forme de gisements, volumineux et denses, stockés et bien gardés, ces renseignements finissent par devenir des flux ininterrompus et envahissants. Entassées et impossibles à trier, elles nuisent, enfin, à notre santé mentale plus que les pommes ; et pour cause, les foules d’informations démodées et dépassées sont au cerveau ce que les pommes abîmées ou avariées sont à l’estomac : elles provoquent des reflux et des intoxications cérébrales de surmenage et de stress.

Pour finir, reprenons la question posée tout au début, mais version web 4.0 : que perdrions-nous, si jamais, en tant que individus, nos PC à 8 TO, nos portables 256 GO et nos dizaines de clés USB à 128 GO, venaient à disparaitre ? Notre avarice. Et nous gagnerions à découvrir, grâce à nos yeux, enfin, libérés des œillets de la possession et de la collecte, que le ciel est beau et que la vie mérite d’être vécue. Mieux encore, que perdrions-nous, si jamais une attaque solaire ionisante mettait à plat tous les serveurs du monde ? Notre égoïsme. Et nous savourions et fêterions les retrouvailles, dans la place du village, la générosité humaine comme le fils de l’avare avec ses amis devant les pommes…  Nous serions débarrassés de nos manies maladives de télécharger sans limite et d’enregistrer, de stocker, de dupliquer…

Une petite curiosité

Revenons à notre gardien des pommes : c’est bien le fils qui fait du bon usage des pommes, et de ce fait, il est la bonne personne du bon moment et qui opère le bon traitement. Il représente une génération fraiche et jeune, celle de l’échange et du partage. Et d’ailleurs pour profiter du trésor, il y invite ses « followers » ou ses amis, pendant que le père, en solitaire, continue d’incarner la tribu des vieux réflexes : épargner, cumuler, entasser, encaisser, empocher… tristement !

Par Ata-Ilah Khaouja

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